Où la semaine fut rude et riche en contrariétés (encore plus que d'habitude, je veux dire)...
Bon gré, mal gré, le doigt rampe douloureusement le long du clavier qui, au fil de la semaine, est devenu son enfer, son champ de bataille.
Blessé au côté par un tir d’agrafeuse inopiné, chaque lettre qu'il enfonce (à grand peine) lui arrache une grimace de souffrance. A bout de forces, il puise dans ce qui lui reste de ressources pour rédiger cet ultime message de la semaine, dans lequel il se met en scène à la troisième personne - de la pudeur, sans doute, éventuellement un soupçon d'orgueil -, à quelques paragraphes de l'évanouissement.
Ses articulations lui font mal, il peine à se courber, et pourtant il ne renonce pas : il a un devoir à accomplir, il a des responsabilités. Sans lui, ce sont des dizaines de professeurs qui ne sauront pas ce qui les attend dans les sept jours à venir. Sans lui, ce serait l'anarchie. Le chaos. La fin du monde libre. Il pense à Auriculaire, Pouce, Majeur, ses frères d'armes tombés au champ d'honneur. Il pense à la brigade Main Gauche, dont il n'a plus de nouvelles depuis le blitz du "Message-d'Information-à-l'Ensemble-de-l'Equipe-Educative". Il pense à toutes les larmes versées, toute la sueur, et il se demande à quoi bon, mais il ne fléchit pas - ou tout juste ce qu'il faut pour taper ce message.
Il sait que quand la paix du week-end reviendra, il n'aura ni médaille, ni hourras. Il ne sera pas porté en triomphe. Il sait que la liesse sera pour les autres, et il la leur laisse de bon coeur.
Il n'aspire qu'au repos, ce soir.
Il s'imagine déjà dans le B22 modèle Clio qui le ramènera au ranch familial, et à combien il sera heureux de retrouver ses poules et ses vaches - et la jolie Becky, aussi, l'annulaire de la fille du puisatier, son premier et unique amour.
Il pourra alors goûter aux joies simples d'une retraite méritée ; et s'il apprend un jour qu'un professeur n'aura pas oublié son rendez-vous chez M le Chef d'Etablissement, ou que la vie scolaire n'a pas cherché vainement les 3ème1 vendredi matin, il pourra se dire que c'est un peu grâce à lui.
Porté par ces pensées réconfortantes, il rassemble toute son énergie, se prépare au baroud d'honneur, redouble d'efforts et frappe, caractère après caractère :
"Bon week-end à tous".
Voilà. ça, c'est fait.
Il y est presque.
Plus que sa signature à apposer au bas de ce message, ce bout de phrase dont il a fait son emblème, à force, et le calvaire sera fini pour lui, ce sera retour au bercail.
Aussi s'applique-t-il plus que jamais, inspire-t-il profondément (autant qu'un Index puisse inspirer) et inscrit-il le plus sincèrement du monde :
"Bien cordialement,"
--
Le secrétaire de direction
Bon gré, mal gré, le doigt rampe douloureusement le long du clavier qui, au fil de la semaine, est devenu son enfer, son champ de bataille.
Blessé au côté par un tir d’agrafeuse inopiné, chaque lettre qu'il enfonce (à grand peine) lui arrache une grimace de souffrance. A bout de forces, il puise dans ce qui lui reste de ressources pour rédiger cet ultime message de la semaine, dans lequel il se met en scène à la troisième personne - de la pudeur, sans doute, éventuellement un soupçon d'orgueil -, à quelques paragraphes de l'évanouissement.
Ses articulations lui font mal, il peine à se courber, et pourtant il ne renonce pas : il a un devoir à accomplir, il a des responsabilités. Sans lui, ce sont des dizaines de professeurs qui ne sauront pas ce qui les attend dans les sept jours à venir. Sans lui, ce serait l'anarchie. Le chaos. La fin du monde libre. Il pense à Auriculaire, Pouce, Majeur, ses frères d'armes tombés au champ d'honneur. Il pense à la brigade Main Gauche, dont il n'a plus de nouvelles depuis le blitz du "Message-d'Information-à-l'Ensemble-de-l'Equipe-Educative". Il pense à toutes les larmes versées, toute la sueur, et il se demande à quoi bon, mais il ne fléchit pas - ou tout juste ce qu'il faut pour taper ce message.
Il sait que quand la paix du week-end reviendra, il n'aura ni médaille, ni hourras. Il ne sera pas porté en triomphe. Il sait que la liesse sera pour les autres, et il la leur laisse de bon coeur.
Il n'aspire qu'au repos, ce soir.
Il s'imagine déjà dans le B22 modèle Clio qui le ramènera au ranch familial, et à combien il sera heureux de retrouver ses poules et ses vaches - et la jolie Becky, aussi, l'annulaire de la fille du puisatier, son premier et unique amour.
Il pourra alors goûter aux joies simples d'une retraite méritée ; et s'il apprend un jour qu'un professeur n'aura pas oublié son rendez-vous chez M le Chef d'Etablissement, ou que la vie scolaire n'a pas cherché vainement les 3ème1 vendredi matin, il pourra se dire que c'est un peu grâce à lui.
Porté par ces pensées réconfortantes, il rassemble toute son énergie, se prépare au baroud d'honneur, redouble d'efforts et frappe, caractère après caractère :
"Bon week-end à tous".
Voilà. ça, c'est fait.
Il y est presque.
Plus que sa signature à apposer au bas de ce message, ce bout de phrase dont il a fait son emblème, à force, et le calvaire sera fini pour lui, ce sera retour au bercail.
Aussi s'applique-t-il plus que jamais, inspire-t-il profondément (autant qu'un Index puisse inspirer) et inscrit-il le plus sincèrement du monde :
"Bien cordialement,"
--
Le secrétaire de direction
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